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LA PIERRE MEULIÈRE,

PIERRE NOURRICIÈRE DU "TERROIR" PARISIEN

Assiette : Service des Arts Industriels, Manufacture de Sèvres 1835-1836

Etymologie et Histoire

               La meulière est un matériau connu et exploité depuis un temps immémorialLe mot « molaris » (de « mola », la meule) désigne au VIIème siècle la pierre meulière et au XIVème siècle l’italien Boccace évoque dans son « Decameron » «les pierres de moulliere » dont on fait les meules pour moudre la farine. Au XVIIème siècle différents écrits mentionnent la pierre de « molière » qui donne son nom à plusieurs communes de France – dont le village Les Molières dans l’Essonne – où cette pierre était extraite.

C’est au XIXème siècle que la renommée de la meulière va s’épanouir dans une reconnaissance totale, à la fois artistique, scientifique et économique. En effet, en 1835 et 1836, sont produites par la Manufacture royale de Sèvres, trois assiettes en porcelaine représentant « l’exploitation de la meulière à la Ferté-sous-Jouarre ». Elles sont peintes par Jean-Charles Develly (1783-1862) qui se rendit sur place et rapporta des croquis précieux pour la connaissance de cette industrie, jugée digne de figurer dans le « service des Arts industriels ». La littérature témoigne aussi de l’existence de la meulière dans le paysage parisien. Victor Hugo dans « Le Rhin, lettre II du 21 Juillet 1842 » l’évoque dans les environs de la Ferté-sous-Jouarre. Dans une nouvelle, « Angélique », de son livre Les Filles du feu (1854), Gérard de Nerval souligne l’aspect curieux de la pierre, dans un village proche d’Epernay. La même année, un ingénieur des Mines, Pierre Armand Dufrénoy, auteur de la 1ère carte géologique de la France, publie un « Rapport sur le gisement des pierres meulières des environs de Paris ». Tout y est dit sur la nature de cette roche dure, un « quartz fait de silice » et sur l’importance de l’exploitation, avec la distinction, selon l’emploi et la localisation, de la pierre à meule, et de « la pierre des architectes ».

Qu’est-ce que la « meulière » ?

               Dans son ouvrage « Voyage d’un grain de sable »paru en 2015, l’éminent géologue du Museum d’Histoire Naturelle, Patrick de Wever définit la meulière comme « une roche de couleur beige à rouille, plus ou moins caverneuse, formée entièrement de silice. C’est une roche secondaire, c’est-à-dire qui s’est formée aux dépends d’une formation préexistante. Elle résulte en général de la silicification d’un calcaire lacustre. Rappelons très succintement que, dans le Bassin parisien envahi par la mer à l’ère secondaire, s’est opérée ensuite pendant des millions d’années une sédimentation de roches (sable, argile, calcaire), accompagnée d’érosion et de transformations complexes comme celle qui a donné naissance à la meulière.

Que les géologues me pardonnent ce raccourci de profane…

Monsieur de Wever souligne ensuite l’intérêt de cette roche : « Elle était utilisée pour les meules car elle ne laisse pas s’échapper de grains à l’usure, à la différence du grès. Elle est un excellent matériau de construction car elle est à la fois extrêmement solide, insensible à l’altération de l’eau de pluie, imperméable et poreuse. Elle constitue de ce fait un isolant phonique et thermique ».

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Antoine Chintreuil, Carrière de pierres meulières à Igny, vers 1850, huile sur toile.

Localisation de la meulière

               Le rapport Dufénoy précédemment cité et d’autres études locales réalisées par des instituteurs en 1899 ont permis de recenser village par village les lieux d’extraction de la meulière en Ile de France. Ceux qui produisaient les meules se trouvent à La Ferté-sous-Jouarre (Seine et Marne), qui fut la capitale mondiale de cette activité, dans la commune des Molières (Essonne) et dans les environs d’Epernay (Marne). 197 autres carrières sont mentionnées dans l’ancien département de Seine et Oise, dont 148 sont situées dans l’Essonne, réparties sur 63 communes. A l’exception de plusieurs exploitations en Dordogne, près de Bergerac, la meulière est donc localisée essentiellement au Sud-Sud-est de Paris, ce qui s’explique par l’histoire géologique du Bassin Parisien.

Exploitation de la meulière

 

              L’exploitation connaît son apogée entre la fin du XIXème siècle et l’entre-deux-guerres. Les exploitations les plus importantes pour la pierre de construction sont celles de la société Piketty à Grigny et Viry-Châtillon.

Les carrières sont exploitées à ciel ouvert. Les carriers, majoritairement Italiens du Piémont, extraient la pierre à l’aide de pioches, de pelles et de barres à mines, ce qui n’est pas sans risque…Une enquête de journalistes, datée de

1908, évoque la vie difficile de ces travailleurs d’un « métier qui tue ».

 

Grâce à la proximité de la Seine, la pierre est transportée jusqu’au port le plus proche, par voiture tirée par des chevaux ou des bœufs, puis, le progrès aidant, par petit chemin de fer à voie étroite réservé à cet usage. Elle est ensuite chargée par des ouvriers, appelés « bardeurs », souvent italiens eux aussi, qui la déversent dans des barges remorquées jusqu’à Paris, quai Henri IV. La capitale est en effet le principal débouché de cette industrie. La pierre peut aussi être expédiée en chemin de fer.

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Au fur et à mesure de l’industrialisation et de la modernisation, d’autres professions vont se développer à côté des carriers : conducteurs de locomotives, forgerons pour réparer certaines pièces, surveillants des puits, constructeurs et réparateurs de barges. Toute une main d’œuvre nourrie par la meulière.

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Utilisation de la meulière

 

                  Sa vocation de pierre de construction la fait utiliser depuis des temps reculés pour de modestes maisons rurales, des lavoirs, des puits dont on retrouve beaucoup de traces et qui font le charme des villages. Sa solidité en fait un matériau privilégié pour la construction d’ouvrages d’art, comme les ponts, les aqueducs (celui de Buc qui date de 1686 ) les viaducs (les « Arcades » de Viroflay), des édifices à caractère religieux (Eglise Saint Eustache à Viroflay). Des tonnes de meulière ont servi aussi pour les grands travaux du Baron Haussmann, pour des conduits d’égouts, pour des prisons (la Santé, Fresnes), pour les voûtes du Métropolitain en 1900, la liste est longue avec de nombreux bâtiments publics comme les mairies, les écoles et les gares.

De la fin du XIXème siècle jusqu’aux années 30, la meulière va être très recherchée aussi pour la construction de grandes villas bourgeoises signées par des architectes de renom comme Léon Bachelin (1867 1929) connu pour ses maisons à Versailles, au Chesnay et à Viroflay. La meulière y est associée à d’autres matériaux pour la mettre en valeur : la brique, la céramique insérée sur les façades, le verre et le fer forgé pour les marquises, ces petits auvents au-dessus des entrées, tout un style va naître, inspiré de l’Art Nouveau. Pour jointoyer la pierre, les maçons vont exprimer tout leur savoir-faire dans le rocaillage, technique qui remplit les joints de petits éclats colorés (meulière, coquillage, mâchefer, céramique) scellés dans un crépi de mortier. Tout un art !

Parallèlement à la construction de ces grandes demeures, et suite à différentes lois pour remédier à la crise du logement dans les années 20, un grand nombre de pavillons vont être construits …en meulière, bien sûr ! Après cette explosion pavillonnaire, l’exploitation de la meulière va décliner après la seconde guerre mondiale, à cause des coûts élevés et de la concurrence du parpaing, plus rapide à fabriquer et du développement des constructions en béton armé. L’extraction s’arrêta vers 1970.

Villa de l'architecte Léon Bachelin, Viroflay 

                   La MEULIERE, richesse du sous-sol, a une part essentielle dans l’identité francilienne. Sa double vocation de pierre à moudre et de pierre à bâtir a nourri l’homme pendant des siècles et a nourri aussi sa créativité en développant un savoir-faire unique. En ce XXIème siècle tourné vers l’écologie et le naturel, on restaure des moulins, on réemploie des meules de La Ferté-sous- Jouarre, ce qui n’est pas sans plaire à Monsieur Jacques Beauvois, ancien apprenti meulier et collectionneur passionné de meules et outils dont il nous a prêté quelques pièces. Qu’il en soit remercié.

Quant à nous, Parisiens, donnons longue vie à la meulière, cette pierre nourricière, pur produit de notre « terroir » !

Bibliographie :

  • « Les Meuliers » livre de Agapain (Musée de Seine et Marne)

  • « L’homme de la meulière » cahier publié par la Maison de la banlieue et de l’architecture

  • « Voyage d’un grain de sable » de P. de Wever

Les Arcades (viaduc), Viroflay
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